Au-delà du mythe Vaudou et du personnage de la Pop Culture, le concept du Zombie est aujourd’hui mobilisé dans toute une série de disciplines, de la philosophie à l’économie en passant par la géographie ou la biologie, comme s’il nous fournissait un opérateur de pensée pour saisir le contemporain.
C’est à l’exploration de ce personnage de la culture populaire, dans le champ de la pensée contemporaine, que ce Week-end de la Pop Philosophie est consacré.
À 18h
« Zombies naturels et autres curiosités »
Avec Abdel Aouacheria, biologiste et réalisateur, suivi d’un échange avec Anaïs Moressa, journaliste.
Venus du vaudou, popularisés au cinéma par le film de George A. Romero La Nuit des morts- vivants (1968), puis propulsés au firmament grâce au clip Thriller de Michael Jackson (1983), les zombies évoluent plus que jamais aux côtés des humains à travers diverses séries disponibles sur petit écran (comme The Walking Dead) ou en jeux vidéo (Resident Evil). Ce « phénomène Z » a pris une telle ampleur que le gouvernement américain a édité un plan à déployer en cas d’apocalypse zombie. On peut se demander aujourd’hui si l’imaginaire du mort-vivant n’a pas percolé dans toutes les strates de notre rapport au réel (du zombie philosophique aux cellules-zombies de la biologie contemporaine). La portée symbolique (extrêmement riche) de la figure du zombie et son rôle de révélateur de l’évolution de nos sociétés (en particulier dans leur rapport au corps, à l’identité et à la mort) l’ont placé sous la lumière des projecteurs. Mais les zombies fictifs que l’on connait ne cacheraient-ils pas de « vrais » zombies, tapis dans leur ombre ? La notion de mort-vivant est-elle seulement métaphorique ?
Nous verrons que des formes naturelles de zombification peuvent être retrouvées chez certains animaux (dans des relations hôte-pathogène) ou dans des conditions pathologiques (avec l’apparition de « caractéristiques » propres aux zombies). Fourmis marionnettes, araignées téléguidées, cigales nymphomanes, blattes victimes de terrifiants chestbursters (les « éclateurs de poitrine » de la franchise Alien), les exemples sont nombreux. On recense également toutes sortes de maladies à « traits zombies », dont les manifestations peuvent être physiques ou comportementales, et souvent les deux à la fois. Le zombie, figure achevée de l’alter ego pas très présentable, n’a pas fini de nous surprendre, jusqu’à nous en apprendre sur nous-mêmes et sur le monde qui nous entoure. Tout à la fois divertissement, stigmate civilisationnel et objet d’étude transdisciplinaire que les sciences abordent sous un nouveau jour, le zombie nous parle autant que nous parlons de lui.
À 19h30
« Géographie Zombie, les ruines du capitalisme »
Avec Manouk Borzakian, essayiste et géographe, suivi d’un échange avec Béatrice Vallaeys, journaliste et écrivain.
Que révèle le zombie de son époque ? Apparu sur les écrans sous une forme renouvelée il y a un demi-siècle, figure incontournable de la culture populaire depuis les années 2000, le monstre inspire philosophes, sociologues et psychanalystes : retour du refoulé, peur de l’Autre, angoisse de l’infection, le zombie raconte les mille questionnements de l’Occident d’après les Trente Glorieuses, d’après la chute du Mur, d’après le 11 Septembre.
Mais on peut retourner l’interrogation : que faisons-nous, humains, face aux zombies ? Barricades, murs et autres moyens de mise à distance, armes en tous genres, méfiance généralisée, télésurveillance...
A travers les stratégies des protagonistes des films de zombies, de quel type de rapports des sociétés à leur environnement la fiction se fait-elle l’écho ?
La crise zombie traduit une perte générale de repères, en particulier géographiques. L’espace constitue un fondement de notre existence, de notre être au monde : distances, frontières, directions ou toponymes donnent du sens, nous contraignent et nous servent d’outils. Les zombies viennent saper ces repères et génèrent un monde dans lequel les réalités humaines et non humaines ne sont plus « à leur place ». Devant cet « espace liquide », cette étendue parsemée de ruines du présent, il faut tout réinventer, tracer de nouvelles frontières ou en préserver d’anciennes, refonder l’ici et l’ailleurs. Bref, il faut « refaire lieu ». Autant d’enjeux politiques et éthiques. Comme l’épidémie de Covid-19 – plus largement comme le capitalisme tardif et le vide qu’il instille dans nos vies –, l’invasion zombie donne lieu à un affrontement entre des visions du monde inconciliables, entre obsession de la survie et volonté de rebâtir une société plus juste.